4. Vert
Belle journée,
se dit Isabelle en traversant le jardinet devant sa porte d’entrée.
Elle se penche et… pas vrai ? Les deux petits hortensias le long du chemin sont
déjà en train de bourgeonner! Il va falloir est attentive à toute cette verdure
qui embellit l’accueil de sa maison.
Aussi, lorsqu’elle arrive au cabinet, elle s’oblige à
jeter un coup d’œil rapide dans la salle d’attente. La plante verte, là, dans
le coin… Mince, elle fait grise mine, celle-là ! Il va falloir l’arroser
plus régulièrement, et lui changer son terreau un de ces jours !
Sinon, la journée suit
son cours habituel, entre patients aux problèmes de santé variés et
personnalités plus ou moins attachantes.
Le moment qu’elle préfère est celui qu’elle partage avec
cet homme accueilli récemment. Un journaliste avec lequel elle peut avoir des
échanges intéressants, des propos à bâtons rompus, et parfois des questions personnelles.
-Il fait meilleur aujourd’hui, entame-t-elle en l’invitant
à s’allonger sur la table de travail.
-Oui, il y a de la lumière. On a davantage le cœur à
l’ouvrage…
-Du cœur à l’ouvrage, c’est vrai. Pour faire quoi, par
exemple ? Qu’est-ce qui vous occupe en journée, si je ne suis pas
indiscrète ?
-Oh, des tas de choses, des articles à écrire… des
recherches à effectuer pour étayer les critiques à fournir au journal.
-Des critiques ? Quel genre? renchérit-elle tout en
glissant un coussinet au creux du genou.
-Des compte-rendu de romans… Il y a beaucoup de boulot
par moments…En automne par exemple, lorsque sont décernés tous les prix : Nobel,
et autres… En ce moment je planche sur
Boxho. Vous savez, cet auteur belge qui fait une sortie fracassante.
-Oui, j’en ai entendu parler. Un médecin légiste, c’est
ça ?
-Oui, gros succès de librairie !
-Il paraît, oui.
-Et vous, au fond, quels sont vos livres préférés…?
-Je n’ai malheureusement pas beaucoup de temps pour lire.
Je penche davantage pour le cinéma. J’ai vu « Le Comte de Monte Christo »
récemment. J’ai beaucoup aimé. Et vous, vous avez vu ?-
-Oui, oui, très bien. L’acteur principal est remarquable.
Même si le film n’est pas fidèle à la vérité historique. Mais bon, pas grave.
-Et sinon, vous, question mobilité… Où en
êtes-vous ? enchaîne-t-elle en s’attelant à un massage en profondeur.
-Quelle mobilité? De quoi voulez-vous parler ?
-Vous vous êtes procuré un pédalier, comme je vous
l’avais conseillé ?
-Quoi, vous revenez avec ce pensum, cette punition ?
Non mais, vous me voyez pédaler dans le vide ?
-Mais oui, pourquoi pas ? Pour joindre l’utile à
l’agréable… Il est tout à fait possible de lire et même d’écrire tout en
pédalant. Ce serait tout bénéfice pour votre santé, croyez-moi!
-Ah non, s’insurge-t-il, je préfère sortir, me promener
dehors !
-Oui, bien sûr mais…
-Promenade obligée, vous dites ? Eh bien, je vous
prends au mot ! Je vous invite… Que dis-je, je vous inflige une promenade
de santé… avec moi !
-Oh, si c’est important pour vous, pourquoi pas ?
-Pari tenu : je suggère une balade. Pas loin d’ici. Le long de la Drève de
Lorraine, par exemple, j’ai repéré un chouette chemin de traverse…
Drève de Lorraine ?
Les doigts le long de la cuisse se sont soudain crispés,
l’homme sursaute avec un grincement de dents, et une vision d’effroi vient de
traverser l’esprit d’Isabelle.
Elle se revoit au volant de sa voiture, il y a quelques
mois, en route vers Waterloo. Tout va bien, cool… Lorsque de manière totalement
imprévisible un enfant quitte la piste cyclable et déboule à vélo en travers de
la chaussée. Coup de frein brutal, crissements de pneus, hurlements,
sueurs… !
Plus de peur que de mal, réalise-t-elle heureusement !
Si ce n’est que le vélo est tordu, le moutard a des bosses, des égratignures, et qu’il pleurniche, submergé
de remontrances et de tendres câlins.
Non, vraiment, la Forest de Soignes est suffisamment vaste
pour ne pas aller se balader dans ce coin-là !
La séance va s’achever sans tarder cette fois, avec
échanges de sourires confus, dubitatifs.
Et le miroir, le soir, que va-t-il en penser ?
Que dit-il ?
Rien.
Mais, qui ne dit mot consent, n’est-ce pas ?
702 mots.
7 commentaires:
Bonjour Micheline,
Henri Waterkijn, qui a tellement troublé Isabelle lors du texte précédent, est donc un patient régulier. Le charme semble avoir été tempéré, non ? Par quoi ? Déjà l'habitude ?
Décidément, Isabelle a des problèmes avec les gosses, celui de quatre ans qu'elle a refusé de voir et celui qu'elle renverse en voiture... Comment pourrait-elle devenir maman si cette malédiction continue ?
Je me permets de relever deux petits détails. J'ai dû relire à deux fois pour comprendre que les doigts qui se crispent sont ceux d'Isabelle, sur la jambe de Henri ! La Forest de Soignes est bien la forêt de Soignes.
Curieux de connaître la suite de la relation avec son patient...
Bien amicalement,
Jan.
Ps : merci pour tes toujours gentils commentaires.
OK pour foret de Soignes mais je mettrais qd même une majuscule à Forêt.
Bonjour Micheline,
Ce texte verdoyant est clair et bien construit.
Isabelle reste sous le charme du journaliste mais va-t-elle vraiment accepter de faire cette promenade et comment ? Dans le cadre d'une séance de soins ou d'un rendez-vous privé ?
Comme Jan, je trouve bizarre ce qui se passe avec les jeunes enfants...
Elle est très prévenante avec son patient Henri mais celui-ci ressent-il le même trouble qu'Isabelle ?
Ta nouvelle me captive et je serai ravi de découvrir la suite.
Amicalement,
Michel.
Bonjour Micheline,
À première vue, le début du chapitre montre la banalité du quotidien. Le climat est créé mais l'action n'avance guère. jusqu'à ce nom qui évoque un souvenir douloureux pour Isabelle (et une sensation douloureuse pour son patient). Flashback sur un traumatisme non résolu.
Comment Isabelle va-t-elle gérer ce traumatisme ? Va-t-elle en parler à quelqu'un ?
D'autre part a-t-elle matériellement le temps de se promener en journée ? À moins que ce ne soit un week-end (ce qui offrirait plus de temps pour approfondir la relation).
Amitiés,
José
Bonjour Micheline,
Je viens de faire la connaissance d’Isabelle et en conséquence, il est probable que certaines choses m’échappent.
Jusqu’au moment où le journaliste propose une balade sur un chemin de traverse de la Drève de Lorraine, il me semble que la conversation n’est pas à la hauteur de « à bâtons rompus » mais cela fait partie des relations entre gens de bonnes compositions.
Drève de Lorraine. Le journaliste sursaute à ce moment et une vision d’effroi traverse Isabelle. Le gamin à vélo qu’elle avait heurté a t’il finalement eu des séquelles plus graves que celles qui étaient apparentes ? Le journaliste est-il le père du gosse ou de la famille ?
Tu nous diras ce qu’il en est dans un prochain épisode.
Bravo. Cordialement, Christian
Bonjour Micheline,
Il y a pas mal de zones d'ombre dans la personnalité d'Isabelle... manifestement un problème avec les enfants, mais quel est-il vraiment et pourquoi ? Un peu d'ambiguïté dans sa relation avec le journaliste aussi. Est-il sain de mélanger relation professionnelle et sentiments, d'accepter cette promenade dans cette partie de la forêt bien mal choisie. Le miroir consent-il ou observe-t-il une neutralité prudente ? Comment Isabelle parviendra-t-elle à démêler l'écheveau de ses propres sentiments et blocages ? Je serai heureuse de lire ce que ta belle plume en dira.
Amicalement. Andrée
Bonjour Micheline,
Une scène de séduction tout en finesse t en nuances comme tu les aimes et les réussis très bien. Ta manière de ramener le thème de l’enfant en évoquant cet accident est une excellente idée, comme le prouve l’intérêt de tes lecteurs, mais il me semble que tu la traites avec trop de légèreté. Pour que cela ait une influence son comportement envers les enfants, il faudrait que ce soit beaucoup plus grave. Cela peut cependant être très ancien pour ne plus intervenir concrètement dans ton récit, sinon par le souvenir. Il est en effet trop tard dans le travail pour qu’un accident grave soit récent, ce ne serait pas compatible avec le ton général adopté depuis le début. Ou alors, il faudrait introduire des phrases-indices qui suggéreraient un malaise très profond bien qu’occulté chez isabelle, peut-être par le biais de confrontations avec le miroir. Je te suggère, au moment de la muse au point finale d’aggraver l’accident et d’en tenir compte dans tes derniers chapitres. -Tu pourrais travailler la culpabilité du souvenir en même temps que l’évolution de la relation avec le journaliste. Cela donnerait à ta nouvelle une gravité inhabituelle mais je pense que cela vaut le coup… et il est parfois utile de sortir de sa zone dd confort
Dans ton prochain chapitre, sous le signe du bleu, un problème de santé, qui ne doit pas nécessairement être grave -, va cependant perturber quelque peu les projets d’Isabelle.
Bon travail,
Liliane
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