samedi 4 janvier 2025

 

 2. Noir – Enfant

 

    Un jour n’est pas l’autre, le ciel est complètement bouché ce matin. Tant pis, se dit Isabelle, il faudra faire avec ! Elle rassemble donc toute son énergie pour entamer la journée avec optimisme. 

Mais peine arrivée à son cabinet, il faut déjà qu’elle téléphone à sa première patiente pour lui rappeler son rendez-vous ! Une date malheureusement oubliée mais qui coûtera malgré tout à l’étourdie le prix intégral de la prestation. Règlement oblige !

  Une heure plus tard, c’est un ouvrier manœuvre qu’elle se doit de manipuler, un homme aux pieds malheureusement malodorants. Il n’en peut rien, le pauvre, il vient de quitter son chantier en toute hâte. Il fond d'ailleurs en moultes excuses. Pas grave, ce n’est pas la première fois qu’Isabelle est confrontée à pareil désagrément. Il suffit de déplacer les bottines devant la fenêtre entrebâillée et de les exposer au courant d’air. Petits sourires et regards complices, l’atmosphère se détend. Mais enfin… !

   Plus tard encore, c’est un appel téléphonique inattendu qui vient perturber la concentration indispensable au travail de massage. Un coup de fil auquel elle ne répond pas tout de suite. Ce n’est qu’à son heure de pause qu’elle finit par prendre connaissance du contenu du message : une demande de soins pour un jeune enfant. Quatre ans !

L’humeur d’Isabelle s’assombrit aussi sec. Les soins pour enfants, non ! Elle décline ! Elle va refuser.

-Allo, Madame ?... Madame Dubois ? Isabelle Parmentier à, l’appareil… Vous m’avez laissé un mot sur mon téléphone tout à l’heure…mais, voyez-vous… je pense que je ne pourrai pas…

Ses premiers mots sont rapidement interrompus par des cris d’enfant, des pleurs et bruits de casse...

Petite interruption donc. S’ensuit alors un délicat échange pour faire comprendre à la maman que la discipline de stretching qu’elle pratique n’est pas adaptable aux troubles des enfants… Qu’elle s’est spécialisée dans une nouvelle approche de la pathologie musculaire squelettique … Bref… !

L’exercice est périlleux, mais à force d’arguments et de diplomatie elle réussit à convaincre son interlocutrice de consulter Internet ou...  - pourquoi pas? – de s'adresser à une jeune kiné fraîchement installée dans le quartier.

Ouf, elle s’en est bien tirée! Même si elle n’en est pas plus fière que ça. En tout cas, c'est sans trop de dommages. Et elle se sent confortée dans l'idée de demeurer fidèle sa décision : ne plus travailler, comme elle le faisait auparavant avec des petits bouts qui ne comprennent rien à ce qui leur arrive, qui gigotent sans arrêt, rigolent sans raison ou... pire ! qui se mettent à pleurer! Non, elle privilégie cette discipline qui fait appel autant à son savoir-faire personnel qu'à la maîtrise que le patient lui-même doit avoir de son corps.

Ce fut donc une journée comme il y en a souvent : assez dense.

En fin de soirée, comme à l'accoutumée après s'être rafraîchie, elle se tourne vers son miroir préféré pour le questionner.

Qu'en pense-t-il?

Mais le miroir reste muet.

Ah bon?

Il n'y a donc plus qu'à gagner le lit.

La nuit ne sera pourtant guère plus sereine...

Des rêves s'invitent. Nombreux. Des cauchemars, même!

Un visage s'impose. Celui d'un enfant.

Il s'approche, agrippe le bas de sa robe, ses lèvres s'entrouvrent...

-Dis, Madame, pourquoi tu ne veux pas de moi...?


   551 Mots                                                  - o 0 o -

6 commentaires:

Jan M. a dit…

Bonjour Micheline,
Un démarrage sur les chapeaux de roues sans le rituel du café matinal de (presque) tous tes débuts de textes !
Isabelle parvient à se tenir à sa résolution de changer sa manière de travailler.
Et cela débouche sur une note dramatique, émouvante, qu'on n'attendait pas vraiment !
Là, le personnage du petit garçon devra revenir et sans doute mettre Isabelle en face de certains problèmes ou décisions. Pourquoi ne voulait-elle pas soigner le gosse ? Tu donnes des raisons mais est-ce qu'elles sont les vraies raisons de ce choix ?
Certes, le ton devait être noir, et tu n'aimes pas cette couleur, mais tu fais fort avec la description de ce que ta kiné entend au téléphone...
Vivement la suite, un peu plus heureuse, j'espère.
Bien amicalement,
Jan.

Atelier Windels a dit…

Bonjour Micheline,
J'apprécie beaucoup ce texte que je trouve très bien écrit.
Une journée très réaliste avec une Isabelle qui refuse un patient particulièrement jeune.
Cette décision la culpabilise par la suite. Je suppose que ce sera élucidé dans le prochain épisode...
Je te souhaite une heureuse année et beaucoup d'idées pour poursuivre ton chemin en écriture.
Amicalement,
Michel.

Atelier Windels a dit…

Pourquoi ne renoue-t-elle pas avec Serge, son ex ?
Michel.

José V. a dit…

Bonjour Micheline,
C'est un plaisir de te lire. Isabelle passe une bien mauvaise journée. Va-t-elle s'enfoncer dans la dépression ?
Pourquoi n'apprécie-t-elle pas le contact avec les enfants ? Certes s'en occuper n'est pas le plus adapté à sa pratique thérapeutique mais n'en est pas incompatible? Ce refus traduit-il un trauma ou une peur ?
Ton analyse psychologique est tout en finesse. Je me demande ce qui attend Isabelle.
je te souhaite tout le meilleur pour cette nouvelle année, ce qui inclut les joies de l'écriture.
José

Andrée D. a dit…

Bonjour Micheline,
Voilà une vraie journée "beurk" qui soulève l'inévitable question de savoir pourquoi Isabelle refuse de s'orienter vers les soins aux enfants. En a-t-elle perdu un ? Pourquoi conseille-t-elle internet à la maman, alors qu'un psychologue ferait certainement œuvre utile ? Tout est dépeint en petites touches subtiles, comme à l'accoutumée dans tes écrits. Je suis curieuse de connaître la suite.
Très belle, douce et lumineuse année à toi.
Amicalement.
Andrée

Liliane a dit…

Bonjour Micheline,
A l’élégance délicate de l’écriture, s’ajoute une habile maîtrise dans la construction de ce texte. Tu proposes un texte qui décrit une journée banale avec l’épisode habilement croqué et de la connivence qui s’établit entre Isabelle et son patient aux pieds malodorants. A cet aspect sympathique et compréhensif d’Isabelle, tu fais succéder un épisode qui la montre plutôt rigide et peu compatissante, insensible à la souffrance d’un enfant et même semble-t-il hostile aux enfants. On a l’impression que tu élimines le rôle de l’enfant suggéré dans la consigne.
Et soudain, tout change, à son retour chez elle, la culpabilité s’invite, se manifeste par le silence du miroir, s’installe dans ses rêves avec une question pour l’instant sans réponse mais dont on peut présumer qu’elle sera fertile pour la suite de ta nouvelle.
Dans ton prochain texte qui sera rouge, Isabelle va entreprendre une recherche visant à se sentir mieux dans sa peau.
Bon travail,
Liliane

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