6. Gris - Un conseil donné par quelqu’un qui n’est pas proche
Comme son cher
miroir de la salle de bain ne cesse de lui renvoyer une mine défaite, Isabelle finit
par faire un saut à la pharmacie pour se racheter du sirop pour la toux. Alors
qu’elle s’apprête à quitter la caisse, elle se ravise et rappelle
l’employée :
-Euh, dites-moi… Pour apaiser le stress… soutenir
l’humeur, vous conseillez quoi ?
La pharmacienne se fend alors d'une énumération détaillée
de toutes les vitamines adéquates. Mais devant l’air dubitatif de la cliente, elle
finit par suggérer :
-Zafranax, peut-être ?...Ou alors, du Lysanxia.
Lysanxia, parfait ! Ses propriétés anxiolytiques ont
eu un effet immédiat. Trois petites gouttes sur la langue ce matin et Isabelle
se sent beaucoup mieux. Il le faut absolument. Car c’est « Le » jour.
Le jour de la séance de Waterkijn !
Il est déjà là d’ailleurs, ponctuel, souriant, charmeur,
et prêt en boxer pour sa séance de revalidation.
-Comment allez-vous ? entame-t-elle en l’invitant à
prendre place sur la table de travail.
Mais, à peine s’est-il allongé, que l’homme frissonne.
-Ah, oui, le temps s’est fraîchi, confirme-t-elle.
Attendez, on va remédier à ça.
Petit clic sur un interrupteur, et la planche est aussitôt
parcourue d’un agréable flux de chaleur.
-Ah, c’est mieux ! Et rapide avec ça ! Merci.
Elle se prépare alors à le masser : un coussinet est
glissé au creux du genou droit, et ses mains prudentes mais fermes commencent
à manipuler les articulations et muscles de la jambe gauche.
-Et vous, comment allez-vous ? l’interroge-t-il à
brûle pourpoint.
-Très bien, merci.
-Vraiment bien ?
Si le ton de la question lui a paru légèrement appuyé,
elle renvoie néanmoins la balle avec un brin de hauteur.
-Oui, pourquoi ?
-Il m’a semblé que vous étiez un peu tendue l’autre jour.
La réplique est inattendue mais elle ne désarme pas :
-Ah bon, qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
-Eh bien, vous avez réagi un peu brusquement lorsque je
vous ai parlé d’une balade.
Nouvelle échappatoire d’Isabelle :
-Vraiment ? Je ne vois pas de quoi vous parlez.
-Moi, je vois. Et je sais !
Le sourire satisfait qui vient de lui être décoché
n’empêche pas Isabelle de continuer à pétrir la jambe de son patient avec
sérénité.
-Je crois même savoir pourquoi vous êtes réticente à vous
aventurer en forêt.
-Ah oui, et pourquoi ? rétorque-t-elle avec une
pointe d’ironie cette fois, convaincue qu’il vaut mieux entrer dans le jeu qu’il
lui impose.
-Eh bien, figurez-vous que c’est mon voisin de palier - un
sacré petit étourdit, celui-là ! - qui a percuté votre voiture dans la drève
de Lorraine, il y a quelques années. Et j’ai été indirectement témoin de l’événement. Car c’est
mon père qui s’est proposé d’aider la maman à remplir les papiers d’assurances.
Si, croyez-moi, c’est ainsi que j’ai beaucoup entendu parler - photos à l’appui !
- d’une dame, kiné en l’occurrence. Une certaine Parmentier, émue et perturbée
par ce qui venait de lui arriver.
A l’écoute de ce qu’il vient de révéler, Isabelle s’est
redressée, massages en suspens, les yeux écarquillés.
-Le monde est petit n’est-ce pas ? conclut-il triomphant.
Pas d’autre issue pour elle cette fois que de rendre les
armes avec un sourire complice.
Elle en sourit encore chez elle le soir.
Le monde est petit en effet, marmonne-t-elle.
Et toi, Waterkijn, t’es culotté !
Mais t’as de belles jambes, tu sais.
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